Chapitre 1 - Princesse Jade.
- Je t'en supplie, ne me détestes pas...
La lueur de la lune sur tes mains mouillées de tes larmes, de mon sang. L'épée plantée dans ma poitrine, mon châtiment pour être née du même sang que le tien. Tes lèvres sur les miennes... Une erreur, un amour impossible, ces sentiments qui sont les tiens, pourquoi ne pas me les avoir montré plus tôt? Pourquoi, mon adorable petit frère, me le dire alors que je ne peux plus rester dans tes bras? Tu es si magnifiquement cruel.
- Je devrais être celle qui pleure, tu ne crois pas? Un roi qui pleure, c'est assez rare.
- Je ne veux pas l'être! Pourquoi souris-tu encore? Je t'ai tout pris, tout! Je suis un monstre, ce que j'ai fais...
- Je ne veux pas voir ce visage en pleurs comme dernier souvenir de mon frère, Rinji. Te voir sourire maintenant, et pour toujours... C'est ma dernière volonté, alors ne me déçois pas, d'accord? Je le saurais si tu ne le fais pas!
La vie qui est en moi s'échappe vite, trop vite. Il y a tellement de mots que je voudrais dire encore une fois, mais je n'ai plus la force d'apaiser tes sanglots.
Fermer les yeux... Je ne veux plus te voir si triste sans pouvoir agir.
Je sens à peine l'étreinte de tes bras sur mon corps inerte.
-Pardonne moi, pardonne moi Jade!
-Comment pourrais-je t'en vouloir ?
As tu simplement entendu ces derniers mots, plus légers qu'un murmure du vent dans les feuilles du Saule où nous avions l'habitude de nous retrouver?
Lorsque je rouvris les yeux, tout était comme un rêve. Je vis mon corps sans vie dans les bras du prince dont les habits étaient tâchés de vermeil. Le soleil à la fenêtre transperçait timidement de ses premiers rayons les rideaux d'organdi. Je me rendis ensuite compte que Rinji ne me voyait pas, et que je serrais une main douce mais à la poigne ferme. J'ai tourné la tête. Les mêmes yeux d'un bleu-gris profond que ceux de ma défunte mère brillaient sur le visage de l'inconnu. Un halo de lumière semblait émaner de ses longs cheveux dorés. Son visage neutre observait la pièce, avant qu'il ne s'aperçoive de mon regard interrogateur. Il se tournât vers moi et sourit :
- Tu es prête? Nous devons partir maintenant. Cette vie n'est plus la tienne désormais.
Avant que je ne puisse répondre, je sentis chaque millimètre de mon corps être emporté vers le haut. Une lumière aveuglante m'obligeait à fermer les yeux, je m'accrochais de toutes mes forces, j'ai senti l'homme au sourire rassurant me prendre dans ses bras pour m'empêcher de tomber, ensuite je ne me souviens plus vraiment, nous sommes arrivés dans un endroit que je ne connaissais pas, des paysages grandioses et inconnus filaient à toute vitesse devant mes yeux entrouverts, comme si je volais. Enfin tout s'est arrêté de bouger autour de moi. Il me semblait que cela faisait des heures que j'étais partie de ma chambre mais le soleil commençait à peine à décliner vers l'Ouest, je le voyais au loin au dessus des montagnes gris perle et des forêts émeraudes. Le paysage m'apparaissait clairement maintenant, il était complètement différent de ce que j'avais pu voir au royaume...
- Où sommes-nous? demandais-je à mi-voix en me tournant vers celui qui m'avait amené ici.
- C'est ton nouveau chez-toi. Regarde derrière toi, c'est là ou tu vas t'installer.
Je restais bouchée-bée en découvrant l'immense palais d'un blanc immaculé qui prônait au milieu de cette nature paradisiaque, des colonnes encadraient une terrasse en marbre qui menait à une imposante porte dorée. Je fis un pas vers le bâtiment mais je me sentis défaillir, comme si je n'avais plus aucune force , et les couleurs éclatantes de cette terre inconnue sont devenues troubles avant de s'obscurcir complètement.
*
Les rayons du soleil rouge sang donnaient à la grande salle une lumière sombre et lugubre en passant par les lourds rideaux de velours à demi fermés. Sur un des sofas cramoisis, un jeune homme allongé souriait en coin, les yeux fermés, une main posée sur son front et l'autre sur son ventre. Il était vêtu richement, soie noire, finitions au fil doré, boutons de manchettes en argent et ses cheveux bruns tombaient sur ses épaules musclées. Un anneau d'or brillait discrètement à son oreille droite, et une de ses mains était recouverte d'un fin gantelet noir et vermeil. La tête adossée à l'accoudoir du sofa, il semblait perdu dans ses pensées.
- Il semblerait que le nouveau jouet de D. soit enfin arrivé..., lança-t-il comme s'il se parlait à lui même, avant d'avoir un petit rire amusé.
- De quoi parlez-vous? questionna une voix douce et grave de femme.
- Tu ne le sais pas? Comment n'as tu pas pu le deviner, Kate?
La dénommée Kate qui auparavant était debout devant la fenêtre et fixait le ciel rouge sang s'assombrir peu à peu avec un visage sans expression, se tourna vers son maître. Ses yeux mauves s'étaient éclairés d'une lueur inquiète et elle regardait avidement le visage pâle et au sourire malsain de ce dernier, qui ouvrît les yeux et dit lentement, comme si chaque syllabe lui offrait un plaisir intense :
- Pourquoi tu pensais qu'un ange comme Gabriel s'intéressait à ta petite princesse adorée?
La servante eût soudain l'air terrifié avant de marcher à grands pas, ses longs cheveux d'un noir de jais tournoyant derrière elle, vers la porte de bois orné de la pièce.
- Où penses-tu aller comme ça? Les démons comme toi ne peuvent pas rentrer au Paradis, peut importe leurs raisons.
La voix de Tatsuki était devenue plus dure et sévère lorsqu'il prononçait ces mots. Ses yeux presque noirs n'avaient plus leur regard riant et une sensation de puissance exaltait de son visage d'une beauté froide.
Kate se figea, sa main tremblante posée sur la poignée. Elle savait parfaitement que même son maître ne pouvait pas entrer facilement où Jade se trouvait désormais, mais elle voulait désespérément revoir la princesse. Quelques heures auparavant, lorsqu'elle était venue à leur rendez vous habituel dans l'autre endroit, celui des mortels où elle se faisait passer pour une noble comtesse , personne ne l'attendait et les voiles sombres du deuil avaient recouverts les visages du château royal. Elle fit un pas en arrière et allât s'assoir à un bureau d'acajou, puis pris une plume de Paon ainsi que de l'encre et commença à écrire une longue lettre. Lorsqu'elle se retournait plus tard pour voir comment s'occupait Tatsuki, elle ne vit personne mais entendit au loin le son lugubre du piano du maître des lieux.